En souvenir de Lady Marianne .

Le thème de la quinzaine étant l'hygiène , j'ai choisi aujourd'hui tout autre chose que les soins apportés au corps , mais finalement complémentaire quoique moins séduisant au premier abord : l'entretien du linge , la lessive .

Et pour l'illustrer , ce tableau de Jean-Siméon Chardin  (1699-1779) .

La Blanchisseuse  , 1733 .

37x43cm .Stockholm .Nationalmuseum .

En regardant ce tableau , si on songe à  Watteau (1684-1721) ,  à  Boucher (1703-1770) et à Fragonard  (1732-1806 ), on mesure toute la singularité  de cet artiste .Il se fit d'abord   connaître par la nature morte , sujet  considéré comme mineur par rapport aux sujets nobles - mythologiques ou historiques - mais peignit aussi par la suite des scènes de genre et des portaits . Il n'avait pas suivi l'enseignement officiel de l'Académie ni non plus sacrifié au  rituel du voyage en Italie , contrairement à beaucoup d'artistes lors de leur formation .

A l'époque ,  le commerce florissait , les manufactures se développaient , l'artisanat prospérait , la noblesse coulait une existence oisive et heureuse . Le calme avant les tempêtes du dernier quart du siècle . Les peintres représentaient des personnages aisés s'ébattant dans des parcs et des jardins à l'ombre d'une végétation prospère   ,   jouant à des jeux de société , se déguisant ou s'adonnant à des jeux plus coquins , des bergeries , des scènes mythologiques radieuses .Et on songe en les regardant au poème de Voltaire : le Mondain ( 1736).

"Moi je rends grâce à la nature sage 

Qui pour mon bien m'a fait naître en cet âge

Tant décrié par nos tristes frondeurs:

Ce temps profane est tout à fait pour mes moeurs.

J'aime le luxe, et même la mollesse,

Tous les plaisirs , les arts de toute espèce,

La propreté , le goût , les ornements ..."

François Boucher : le Berger galant . 

On est bien loin de tout cela dans ce tableau de Chardin .

IL avait trente quatre ans quand il peignit ce tableau .Quoique marié , il vivait chez ses parents à qui il payait un loyer , comme trois de ses frères et leurs épouses . La maisonnée employait quelques domestiques .Ils étaient alors souvent  issus du monde agricole et  échappaient ainsi à la misère intégrale . 

La lessive était alors une tâche très pénible .

A cette époque on ne se lavait pas beaucoup : on se méfiait ,  on croyait que par l'intermédiaire de l'eau les germes des maladies pouvaient franchir la barrière de la peau .  Mais petit à petit , le seuil de la tolérance olfactive aux mauvaises odeurs s'était abaissé et on accordait une grande importance au linge de corps : changer de chemise était considéré comme régénérant , un geste  très sain pour le corps . Les gens aisés avaient don multiplié leur linge de corps . On faisait la lessive une fois par mois et la quantité de linge était considérable ....

Sur un fond sombre où on ne distingue que quelques objets utilitaires révélés simplement par quelques touches de lumière , toute l'attention se porte sur les personnages . La blanchisseuse observe quelque chose avec sur le  visage une sorte d'appréhension : redoute -t-elle d'être réprimandée  ou qu'on lui apporte une surcharge de travail ?

L'enfant , dépenaillé , sans doute habillé de vêtements usés qu'on lui a donnés , est de profil et dans son monde , tout concentré sur sa bulle de savon , aussi fragile que l'enfance qui lui laisse encore quelque répit avant d'être mis au travail .

Tout au fond une autre servante étend le linge et on a l'impression d'une connivence  entre les deux femmes  bien qu'on ne voie pas son  visage : sans doute parce que les tons bruns employés par Chardin sont très doux et chauds . Même le chat qui dort sur la terre battue semble solidaire de ce trio .La palette est restreinte mais tout à fait en harmonie avec le sujet .

Et on retrouve cette atmosphère et cette tonalité dans cet autre tableau de 1738 : la Laveuse de Vaisselle . Mais cette fois les objets sortent de l'ombre et leur présence renforce l'humilité de la scène .