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Rêve brisé .
Suite de l'article précédent :
Pour son premier voyage , mon grand-père avait pris son billet en Autriche, il a donc voyagé sur un paquebot allemand .Il s'est embarqué à Cherbourg sur le Kronprinzessin Cecilie qui avait été construit en 1906 .
Après cinq jours de traversée monotone , voici son arrivée à New-York :
"A l'entrée du port surgit tout à coup la statue de la Liberté , grande comme il se doit pour un pareil symbole et chez un tel peuple . Puis comme rideau de fond , une sorte d'escalier monumental estompé par la brume : la rangée des fameux skyskrapers. Vus de loin , la base cachée par les vapeurs matinales et le sommet tout resplendissant de lumière , ils apparaissent réellement des gratte-ciels .A mesure que l'on approche , tout ce qu'on aperçoit est gigantesque et donne une impression hallucinante de force ordonnée .Il semble que l'impossible ici n'existe pas ...
Mais voici une vedette qui s'avance. Notre bateau s'arrête .Le service de santé monte à bord .
Les citoyens des Etats-Unis sont mis à part , ils sont tabous et ne subissent de visite quelconque .
Nous autres , nous passons l'examen de deux médecins impitoyables . Plusieurs éliminations , autant de refoulements .
Après quelques minutes d'angoisse , je respirai : on ne me trouvait aucune tare ! "
Et la vraie vie put commencer , au bord du Cold Lake .
La tente des tout débuts .
En 1914 , il revint en France pour se battre .Il fut très grièvement blessé , au thorax surtout , avec de sérieuses lésions pulmonaires dues à la déflagration d'un obus éclaté à proximité .
Après des mois d'hôpital , démobilisé en 1917, il retourna dans l'Alberta reprendre possession de son bien si opiniâtrement acquis . Cette fois , il n'était pas seul , il avait épousé celle qui l'avait attendu pendant toutes ces années :plus de 7 ans !
Ils s'embarquèrent à Bordeaux en novembre 1917 sur un transatlantique français , l'Espagne .
Beaucoup d'appréhension au départ de Bordeaux . On craignait un torpillage par un sous-marin allemand .
"Sur notre bateau , les canonniers étaient à leur poste . Pendant qu'un hydravion nous escortait jusqu'à minuit ,toutes les embarcations étaient parées prêtes à être mises à l'eau au premier signal ;on nous fixa les places qui nous seraient réservées à bord des canots en cas de torpillage .
Dans la matinée , alarme .Des bateaux passant au large nous avertirent par signal optique qu'un sous-marin venait d'être aperçu se dirigeant de notre côté . "
Finalement le navire ne fut pas attaqué :
"Qui sait si quelque émissaire important et secret ne se cachait pas parmi nous ?"
La traversée de onze jours fut éprouvante .Il y eut des jours où la mer était démontée et une tempête de neige sur les Bancs de Terre-Neuve .
"Le matin du onzième jour apparut , émergeant de la brume la statue de la Liberté , cette Liberté qui , en 1914, avait dit à chacun de nous : " Va-t-en combattre pour moi !"Elle semblait encore plus grande et plus belle maintenant qu'elle envoyait ses propres enfants au secours de la France ."
( Photo trouvée sur le Net )
"A l'arrivée , le service de santé nous fit défiler un à un . Quand ce fut mon tour , un secrétaire signala aux médecins : "Un blessé de guerre français !"
Dans ma candeur , je crus que c'était là un avantage . Hélas , ces messieurs me regardèrent beaucoup plus attentivement et
déclarèrent : "Débarquement refusé , sa blessure l'empêchera de gagner sa vie ! "
J'eus beau dire que je ne resterais pas aux Etats Unis et que j'avais mon billet pour le Canada , ce fut inutile !
Désespéré , j'étais parmi les indésirables , quand tout à coup je me sentis sauvé . Retournant au bureau : "Messieurs , leur dis-je , j'ai été soldat français mais je suis sujet britannique .Voici ma naturalisation canadienne d'avant-guerre et la Military Medal conférée par sa majesté King Georges !"
"Oh, All right ! Passez puisque vous êtes Anglais ! "
( En effet , il avait rempli toutes ses obligations de colon , ce qui lui avait valu la nationalité anglaise ! )
Lorsqu'ils arrivèrent chez eux , catastrophe:
""De tout le travail acharné de quatre années , il ne restait presque pas grand chose .Clôture arrachée , plus de treillage , les piquets même avaient disparu La grande écurie avait été brûlée. De la maison , il restait encore les murs et le toit, mais les fenêtres , les boiseries , le plancher avaient été emportés .A l'intérieur plus rien n'existait , ni meubles , ni literie , ni ustensiles de cuisine .Seule la cuisinière , trop encombrante, était encore là mais les tuyaux avaient été enlevés .Il fallait ajouter la perte du troupeau laissé à un "ami sûr " ... "
Il ne restait de positif , que les hectares défrichés . Il fallut tout recommencer .
Avec beaucoup de courage ils y parvinrent mais en 1922 , l'état des poumons de mon grand-père s'était encore dégradé et la mort dans l'âme ils durent rentrer en France . Ils s'installèrent dans un petit hameau des Hautes-Pyrénées , pour entretenir l'illusion d' avoir autour d'eux une nature encore vierge .
Des photos qui ont ( mal ) traversé le temps
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Commentaires
Un récit extraordinaire ! J'ai pensé à Jack London. J'admire ces personnes qui ont osé vivre leurs rêves, si dur que ce soit. Merci d'avoir partagé ce beau récit, et ses illustrations précieuses.
3Maya61Vendredi 24 Février 2023 à 13:28Merci de partager ces souvenirs émouvants. Un vrai trésor BisesQuel beau récit !
Rêve brisé pour ton grand-père...
C'est émouvant...
Merci pour ce partage.
Bises Sophie
merci sophie pour ce récit hommage à ton grand père !
et les photos oui mais c'est normal ! et ce sont des souvenirs ... ++++
la guerre a été si dure pour beaucoup !
merci ... bisous beau weekend a+
Malgré la déception
Il a eu une vie riche
Et toi tu en gardes ces souvenirs que tu partages avec nous
Merci à toi
Bonne soirée
Bonjour Sophie,
Quelle histoire édifiante. Tout un édifice qui s'écroule, des années de travail disparues. Ne sont restés que les souvenirs, preuve finalement que cela n'avait pas été qu'un rêve.
Bises.
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Coucou Sophie,
Merci pour le partage de cette épopée.
C'était très très intéressant de te lire.
Je comprends la tristesse de devoir abandonner ces rêves après tout cela, mais la vie n'est pas toujours comme on aimerait qu'elle soit.
Merci aussi pour les photos, même si le temps les as passées.
Bises et bonne journée.